Stars en papier mâché

Cahiers du Cinema, marzo de 1980

Autor: Vicente Ferran Martinell

 

En décembre dernier, à Barcelona, Brigitte Szenczi et Juan Antonio Mañas ont présenté, dans le cadre d’une exposition intitulée « Ciné Follies », une série d´objets et de reliefs en pâte de bois ou il était question des images du cinéma mais d’une espèce particulière, les photos de fìlms : ici «The Lady from Shangaï» objet peint lumineux en bois et pâte à bois, 37 X 42, et «All about Eve», bas relief peint en noir et blanc, 25 x 42 cm., conçus et fabriqués par Juan Antonio Mañas et Brigitte Szenczi.

Vicente Ferran Martinell

Ce mois-ci, des imageries sont arrivées par courrier, dans une grande enveloppe blanche avec de beaux timbres oblitérés à Barcelone : «C’est avec plaisir que nous vous envoyons ces photos d’images dont certaines ont été volées à votre revue, pour en faire des bas-reliefs ou des objets en pâte de bois, en les reproduisant…», écrivent Brigitte Szenczi et Juan Antonio Mañas. Ils se voient, disent-ils, comme des «artistes-artisans» que fascine le «bricolage» : ils bricolent donc (peigent, collent du bois et des matériaux divers) ces bas-reliefs à partir de la photo de film elle-même, («Hypothèse du photogramme volé») ou du rêve qu’elle suscite («All about Eve»). Nous y sommes bien, en pleine Imagerie. Voilà ce que devient l’image de cinéma reprise, bricolée, par la main de l’artisan-artiste. Nous, on trouve ce bricolage tout à fait original. Et leur donner cet espace blanc, ce mois-ci, nous ravit.

 

Stars en papier mâché

Il faudrait dire l´origine de tout cela. Mais cela reste dans la pénombre parce qu’au début il n’y avait pas du tout de définitions préalables. Puisque chacun des impliqués la raconte différemment, il ne reste plus qu’à rétablir un fait certain et simple: B. Szenczi et J.-A. Mañas devaient faire une exposition sur un thème déterminé à l’avance et ils ont choisi celui-ci. On dirait que ça va de soi, le cinéma! Et, cependant, si on se demande pourquoi, la réponse est décevante parce que toujours partielle. Il nous faudrait imaginer, supposer, fictionner pour retrouver cette genèse. Mais je viens d’effleurer le mot clé : fiction: son désir. Au début il y aurait eu comme le désir de reconstruire, de retrouver la scène. Pour eux, cela passe par le cinéma. D’où viennent nos fictions à nous?

Depuis environ trois ans, B. Szenczi et J.A. Mañas essayent d´insérer leur travail plastique dans une pratique artisanale et d’obtenir ainsi une représentation de l’objet sur laquelle ne s’affiche pas la signature de l’auteur.

Il était donc logique que le sujet cinéma vienne s’inscrire dans cette pratique.

J.-A. Mañas a commencé par représenter des scènes provenant de films de Cecil B. DeMille, du cinéma muet, des comédies musicales des années 30. II en a fait des sculptures à échelle réduite, très coloriées, ingénues et spectaculaires qui rejoignent certaines représentations populaires: la crèche, les Fallas de Valencia.
B.Szenczi réalisa une série de portraits de stars, deux bustes et trois tableaux de scènes de séduction de trois films différents. Pour la première de ces scènes, India Song, il n´y a pas eu de photos du film: seule la mémoire a joué. Le luxe des matériaux employés ─ miroirs, tissus d’époque ─ et de certains détails ─ petits tableaux incorporés à l’intérieur ─ ont contribué à en faire un grand tableau capable de remplir le vide laissé par l’absence du film. Quant aux stars, il s´agissait, pour les premières qu’elle fit, de les habiller avec tissus ou fourrures, de les coiffer avec du fil à broder ou de la soie floche, de les orner de verroterie, comme dans un jeu de l’enfance.

Les photos de films, au début, n’étaient qu´un aide-mémoire ou un lieu où l´on pouvait (re)trouver des sujets, mais, pas encore, un objet en soi; ce qui est arrivé petit à petit. En les fréquentant, ils ont commencé à voir la singularité de chaque photo et, de ce fait, l’écriture particulière qu’elle demande.

Au fil de leur travail, B. Szenczi et J.-A. Mañas ont peu à peu laissé de côté le sujet vaste et important, le grand référent, le cinéma, pour en épouser un autre, plus particulier, à l’écart, la photo de film.

Entre un moment et I’autre, il y a eu un léger écart, écart qui révèle une attitude paradoxale. Pour le grand sujet, le cinéma, leur démarche s’est faite dans la tradition artisanale, comme s’il fallait minimiser la prestigieuse catégorie d’art du cinéma et accentuer au contraire son côté populaire. Et, inversement, pour traiter ce reste, cet objet sans définition qu’est la photo de film, leur écriture est devenue singulière pour mieux montrer du doigt sa particularité.

De ce fait leur activité est devenue minimale : du bas-relief à la place de la sculpture; de la peinture en noir et blanc (ou de couleurs très unifiées) puisqu’il était question de lumière.
J.-A. Mañas, pour sa série intìtulée «L´hypothèse du photogramme volé››, a emprunté des images parues dans les Cahiers et les a reproduites très fidèlement, en conservant même leurs dimensions. De ces images, peintes en noir et blanc, il a travaillé le plan: en le brisant ou bien en rendant volumineuses certaines de ses parties. Variations subtiles qui ne suivent pas nécessairement les lois de la perspective et qui sont les signes de son écriture sur ces photos: autant de pulsions de fictions qu’il dévoile.

B. Szenczi a réalisé des portraits de stars où il s’agissait uniquement de l’ombre et de la lumière qui modèlent l’espace et du volume d’un corps immergé dans cet espace. Pour la scène de La Veuve joyeuse de Stroheim et celle de To Have And Have Not, elle a établi un lieu fictif de rencontre du souvenir laissé par la scène du film et des photos recueillies à son sujet. C’est pourquoi les modèles de ces deux scènes, telles qu’on peut les voir dans les reliefs de B. Szenczi n’existent nulle part. Si l’on arrive à admettre ces scènes, à croire en leur écriture, c’est parce qu’il y a dans leur représentation quelque chose en trop, en excès (la présence de Bogart qui rentre violemment dans le cadre; le couple des amants, celui des musiciens et le crucifix réunis dans le même plan). Cet excès vient combler notre désir de l’image perdue et précise la nature de notre rapport à la photo de film.

Tous ces objets ont été faits en pâte à bois. Matériau qu’on peut modeler et peindre sans qu’un outillage compliqué et couteux soit nécessaire. On peut donc travailler chez soi sans problème. Et, en y consacrant du temps on peut en faire pas mal de choses.

B, Szenczi et J.-A. Mañas emploient ce matériau couramment pour leur travail et, dans le cas présent, ils y ont ajouté d’autres artifices: tissus, miroir, plumes, paillettes, verroterie, grains de riz, spaghetti grillés, etc. De plus, dans certains objets, ils ont incorpore de la lumière : du vrai faux pour en faire des fictions comme dans une photo de film.

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